Je pense à vous, donc vous êtes.

Cela faisait presque un mois qu'ils ne s'étaient pas vus. Etait-il toujours dans le château? Même cela il était impossible de le savoir. Son bureau toujours fermé à clé, absent aux repas, les couloirs vides. Mais après tout Poudlard est si grand, il n'est pas étonnant de voir s'écouler plusieurs semaines sans rencontrer âme qui vive dans le dédale de couloirs et de passages secrets. Mais tout de même. Le mystère grandissait de concert avec l'inquiétude d'Abel. Même l'odeur, auparavant omniprésente, de cigare dans la salle des professeurs tendait à devenir plus ténue.

Oui, Jayden Coldwell lui manquait. Ne voulant pas attirer l'attention sur son collègue qui peut-être voulait juste avoir un peu de temps à lui, Abel n'avait pas posé de questions à Mr Bishop ou à Mrs d'Aragon. Jayden réapparaitrait quand il voudrait après tout. Les deux jeunes hommes partageaient le goût de la solitude autant que celui d'être parfois bien accompagné. Et Abel reconnaissait qu'il considérait sans mal son collègue comme une bonne compagnie. Il l'avait apprécié dès le début, cet homme souriant, détendu, qui comme lui ne se prenait pas au sérieux. Enfin, disons plutôt que tout deux savaient à quel moment se mettre au travail, mais ils savaient aussi tout relâcher et avoir de bons moments de rigolade.
Et ces moments manquaient à présent. Les rires manquaient à Abel.

Ils ne se connaissaient que bien peu au final, ça Abel devait l'admettre. Ils avaient passé peu de temps ensemble hors des évènements de la vie quotidienne et des repas. Quand Abel n'était pas encore arrivé à Poudlard, Enlil lui avait raconté par courrier sa rencontre avec le maître des potions dans le parc. Le petit Poufsouffle n'avait pas tari d'éloges sur cet homme qui dès lors avait intrigué Abel. Et quand il était arrivé, les deux jeunes hommes s'étaient naturellement reconnus l'un dans l'autre, la même insouciance, la même assurance feinte, presque désinvolte, qui cachait les vrais soucis.

Comme c'était étrange, à présent. Qu'on le veuille ou non, chaque lieu porte en lui les images des personnes qu'on y a vu à la première arrivée. Pour Abel, Poudlard et les habitants qu'il lui avait connu étaient indissociables. Nul élève, nul professeur, nul elfe ni fantôme qu'il avait rencontré ne pouvait à présent partir sans laisser un sentiment de vide. Et chaque nouvel arrivant prenait naturellement sa place dans la sphère du jeune homme, il intégrait toute nouveauté pour ne plus jamais la laisser sortir. En bon professeur d'Astronomie, il vivait avec un enthousiasme toujours renouvelé la découverte d'une nouvelle constellation dans le panorama étoilé de sa vie. En revanche, il vivait très mal la disparition, l'oubli.

L'oubli, l'habitude, deux prédateurs sans cesse à l'affut d'un bout de vie à dévorer et à réduire à néant.

Alors Abel se fit une promesse. L'habitude de ne plus croiser Jayden ne le ferait pas oublier que le professeur était encore dans les murs du château, à s'isoler un moment. Il réapparaitrait quand il voudrait après tout. Abel n'était pas son père.
M'enfin, ça n'empêche; il avait hâte de retomber sur son ami, un de ces jours.