Rencontre au milieu du désert

Let Fire breathe me back to life

J'attends.
Je t'attends, toi en qui je croyais. J'attends que tu reviennes à moi, ou de revenir à toi, pour à nouveau rire sous le ciel et vivre malgré la tristesse du monde. Je gis, là, au fond du puits, enfin du lit d’hôpital, immobile tel un tombeau. J'ai déjà presque le goût acre de l'obole sur ma langue, prêt à passer dans la barque de Charon ; silence et blanc, rien pour me détourner de ma chute dans la faille qu'a ouvert le détraqueur. Détraqué, je le suis. Et traqué jusqu'au plus profond de mon être par le désespoir.

« T'es dans un sale état, garçon. Réveille-toi, j'ai pas tapé la route jusqu'ici pour te tirer le portrait ».

Elton O'Sahen se tenait au chevet du jeune professeur, dans une chambre froide de Ste Mangouste. Le vieux fabricant de baguette regardait son protégé avec son sempiternel œil acéré et indéchiffrable. Abel lui aurait bien adressé un sourire, s'il le pouvait. S'il pouvait seulement bougé, si seulement il en avait encore la force, ou même l'envie.

***
Où donc es-tu partie ? Si loin, dans un pays chaud sûrement, où les hommes vivent avec la légèreté du présent et des promesses. Moi je suis resté seul, seul avec les battements de mon cœur qui résonnent dans mon corps comme dans un canyon désert. C'est assourdissant, cette pulsation vide qui ne porte plus rien, plus de vie sinon son bruit, sa coquille creuse.
***

Quand Abel ouvrit à nouveau les yeux, son père adoptif était parti, laissant une chaise vide. Une seconde plus tard, ou une heure, ou un jour, le siège était occupé par Enlil. Le garçon parlait, les yeux pleins d'inquiétude pour son cousin. Mais l'homme n'entendait rien, c'est à peine s'il discernait Enlil au milieu de la brume qui l'entourait.

***
Le Styx n'est plus loin, mon cher. Prépare ton bagage. Peut-être que tu La retrouveras là-bas. Que vais-je emporter dans l'au-delà ? Ma brosse à dent, un sac de couchage, un bouquin... Si seulement je pouvais capturer des bribes de vie, des souvenirs, des paysages, des gens. Mais tout cela a fuit. Je ne me souviens même pas du nom de mes élèves, de mes amis ; je ne sais pas de quoi j'ai rempli les vingt-neuf années écoulées. De rien, de vent brassé.
***

« Allons, Yaréar. On ne vous oublie pas ».

La surprise d'entendre cette voix grave et méconnue tira Abel de son demi coma. Son visiteur se tenait bien droit sur la chaise, implacable.

« Ne pensez pas que la vie vous a oublié. Des gens tiennent à vous, ici-bas. Je sais que vous n'êtes pas un grand altruiste, mais personne n'est égoïste au point d'abandonner son navire, de détruire son cocon au risque d'anéantir ceux qui l'entourent. Pensez à tout les cocons que vous tuerez avec vous. »

***
De quoi me parle ce type... De papillons égoïstes qui sabotent des cargos... Il ne sait pas que les papillons meurent à la fin du jour qui les a vu naître ? A quoi bon croire en un temps si éphémère, qui porte dans ses flammes les plus vives et chaudes, la promesse de ses cendres ? Pourquoi continuer à La chercher, Elle qui fut ma compagne, mais qui s'est enfuit, peut-être dans les bras d'un autre ? Je me suis trahi, il faut bien que j'en meurs.
***

« N'avez-vous jamais douté, professeur Yaréar ? Votre vie a-t-elle donc été si simple que vous n'ayez jamais eu la tentation de baisser les bras ? Voici votre baptême du feu. Réduit en cendres comme vous l'êtes, cherchez l'étincelle qui fera de vous un phénix. Je sais que vous l'avez, retrouvez-La. »

***

Toi. Tu es là, je Te vois, Tu voles, je Te reconnais. Tu danses derrière mes paupières closes, lumineuse comme avant. Retourne auprès de moi, entoure-moi de tes voiles amassés, entre en moi,
redeviens-moi.
Je sens venir l'heure de remonter, d'escalader la falaise de granit, je Me sens revenir à mesure que je comprends que Tu ne m'as jamais vraiment quitté, mais que je m'étais juste perdu de vue.
Toi. Ma Poésie, mon éternité, mon inspiration. Cette part de moi qui ne renonce pas, celle qui enfante mes rêves. Éternel oui de l'être, à jamais je serai ton oui.

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