Halloween, où comment faire peur à la directrice

Il était de coutume d'organiser quelques événements à Poudlard, le jours d'Halloween. Cette année cependant, la directrice resta sobre: un banquet allait être organisé, et elle allait cacher des bonbons un peu partout dans le château, mais rien de plus: elle savait parfaitement qu'entre eux, les élèves allaient se faire des farces. Et elle se doutait même que certains professeurs allaient aussi se prendre au jeu...
Sa première pensée fut pour Abel, qui de toute évidence était le genre d'homme qui aimait rire, et faire rire. Pas de doutes qu'il allait leur réserver quelques surprises. Mais, à sa plus grande surprise, le jeune professeur manquait à l'appel. Cette absence n'inquiéta, a départ, pas la jeune femme: il n'avait pas de cours à dispenser aujourd'hui, et devait sûrement être en train de préparer une surprise pour le banquet du soir. Mais il ne se présenta pas non plus au dîner. Où était-il donc? Mr Grimson n'en dit pas un mot, et semblait indifférent à ceci. Aussi, et à la grande surprise de Claria, le nouveau professeur d'histoire de la magie fit d'anciennes copies de métamorphose de superbes origami. Elle entendit aussi les élèves faire des commentaires sur son cours, les termes "Rome antique" et "Napoléon" se côtoyant, ainsi que sur des croches-pattes et des chansons.Quel étonnant changement de comportement! Jamais Claria n'aurait imaginé cela du professeur Grimson.

Les farces d'Halloween étaient d'ordinaire bon enfant, comme celles faites par le professeur Grimson. Mais celle que Mr Yaréar était en train de faire à Claria ne l'amusait pas du tout. Où était-il donc passé? En ces temps de désertion, où les rangs de Poudlard s'étaient resserrés, elle ne pouvait supporter un abandon de poste. Surtout d'une personne qu'elle estimait autant. C'est pour cela qu'après maintes réflexions, à une heure tardive, la jeune femme se décida à se rendre dans les appartements du professeur afin de s'enquérir de son état. Elle resta devant la porte du bureau un long moment, se demandant si elle devait frapper ou attendre le lendemain. En général, lorsque les professeurs s'absentaient ainsi une journée, ils prévenaient...Il était peut-être malade? Oui, c'était sûrement cela. Il avait peut-être besoin d'aide, en plus? Elle frappa.

Deux ombres se mouvaient dans l'obscurité. Elles glissaient sans bruit dans l'escalier étroit de la tour d'Astronomie. Partout le noir. Quand elles passaient à hauteur des quelques flambeaux éclairant maigrement l'espace, leurs visages inconnus fuyaient la lumière pour se hâter de retourner au noir. Elles avançaient, montaient, s'approchaient irrémédiablement de la silhouette de Claria D'Aragon, frêle et patientant devant la porte du bureau du professeur d'Astronomie.

Revenons un instant en arrière, un peu plus tôt dans les appartements du professeur Grimson. Lui et Abel Yaréar se tenaient face-à-face, comme nous les avons laissés. Grimson avait vite compris la farce de son jeune collègue, et après une journée à ruminer dans une chambre de la taille d'un placard, il s'était fait une raison. Yaréar était irrécupérable. Et drôle. Il l'avait bien eut, il devait l'avouer.

Une minute après, les deux hommes avaient la baguette braquée l'un sur l'autre. « Prêt ? » demandèrent-ils d'une même voix. C'est alors que le drame se produisit.

Les deux silhouettes silencieuses arrivaient à présent à quelques pas de la jeune directrice, toujours de dos. Sentant un souffle dans sa nuque, elle se retourna d'un mouvement vif pour faire face avec stupeur à un étrange couple : un petit homme aux oreilles décollées, d'une laideur repoussante, et une vieille femme sèche, grande, au regard fixe comme celui d'un poisson.

« Claria D'Aragon ? » demanda l'homme - décidément très laid - avec une voix haut perchée qui parut le surprendre lui-même. Il adressa un regard de reproche inexplicable à la femme et poursuivit.

« Par ordre du ministre, vous êtes en état d'arrestation. Pour viol de décret ministériel, attitude contestataire, défiance de l'autorité, tout cela en parfaite connaissance de cause. Veuillez nous suivre sans opposition ; on nous a envoyé en tant que membres de services secrets, et nos méthodes peuvent s'avérer avoir des conséquences... funestes ».

La jeune femme avait blêmi. Les deux inconnus s'adressèrent un regard et attendirent un instant avant de poursuivre. Avant d'aborder l'épineuse question de l'accident de Grimson et Yaréar.

La jeune femme marcha complètement dans la farce de ses deux collègues, l'idée qu'on puisse lui faire ce genre de farce ne lui effleurant même pas l'esprit. Elle regarda les deux personnes qui se tenaient devant elle, et se dit qu'en plus d'avoir un physique ingrat, ils faisaient l'un des pires métiers du monde. Elle leur jeta un regard froid, et dit de sa voix la plus sèche:

"Emmenez-moi si vous le souhaitez, je m'en remet à la justice de mon pays. Je n'ai rien à me reprocher. Et sachez, messieurs dames, qu'il faut bien plus qu'une simple arrestation pour fermer Poudlard. Tant que l'école aura à vivre, elle vivra, avec ou sans moi. Tant qu'il y aura quelqu'un pour y croire, Poudlard restera debout."

Un léger murmure se fit entendre. Les quelques tableaux présents dans le couloirs se mirent à converser, de plus en plus fort, et semblaient se dire les uns aux autres les événements qui étaient en train de se dérouler. Tel un téléphone arabe, les murmures se firent de plus en plus lointains, puis revinrent en force. Et, contre tout attente, le tableau le plus proche de la directrice laissa échapper un rire. Que savaient-ils qu'elle ne savait pas? Qu'étaient-ils en train de préparer? Elle jeta un regard interrogatif au personnage peint, un vieillard en robe de sorcier bleu ciel. La directrice était en train de se faire arrêter, il n'y avait vraiment pas à rire.
Ses pensées se dirigèrent alors vers Bishop. Tant qu'elle serait absente, ça serait à lui de faire tourner Poudlard. Il fallait qu'elle le prévienne le plus tôt possible de la situation.

"Laissez-moi juste envoyer un message à mon adjoint, qu'il prenne...les dispositions."

Et puis, sa pensée se tourna vers Abel: il n'avait pas répondu à son appel...était-il parti? Son absence avait-elle un rapport avec l'arrivée des deux membres du Ministère?

Plusieurs sentiments se mêlaient dans l'esprit de Stefàn Grimson. L'étonnement, d'abord. L'étonnement que lui, homme rigide et sérieux, puisse se trouver dans la position qu'il occupait actuellement – sous les traits d'un petit homme à la voix ridicule (il ne pensait pas qu'Abel serait capable d'une telle vacherie!). L'admiration, aussi, devant le courage de Mrs D'Aragon qui bravait fièrement ceux qu'elle pensait être des envoyés du Ministère. Et enfin, l'amusement. Oui, il fallait le dire, Stefàn s'amusait fichtrement.

Dans son bureau, un peu plus tôt, les deux collègues s'étaient ensorcelés l'un l'autre pour se donner un autre visage. L'idée était de Yaréar, bien sûr, une idée si stupide, juste pour troubler le cœur de cette pauvre Claria... Mais la perspective de pouvoir enfin, légalement, jeter un sort à l'enfant gâté qui lui servait de collègue était trop plaisante ; et il s'était appliqué : Abel, en vieille femme revêche ! Ça valait le détour !

D'ailleurs, la vieille chouette en question prit la parole pour parler à Claria.

"Ce ne sera pas nécessaire."

Là-dessus elle/il brandit sa baguette d'un air menaçant ; la jeune directrice, vive comme l'éclair, sortit également la sienne mais avant qu'elle eût pu faire un geste, l'envoyée du Ministère tapota sur l'épaule de son collègue, qui aussitôt reprit les traits de Stefàn Grimson. Ce dernier rendit également (avec regret) son corps à Yaréar, puis, dans le silence gêné de l'aveu de la farce, il eut un air contrit.

"Navré pour la frayeur, Madame la directrice..."

Chose incroyable. Abel éclata de rire, de son grand rire franc qui emplissait l'espace. Les tableaux d'hommes vénérables, dans le couloir, l'imitèrent sans gêne. Alors, soudain, sans signe avant-coureur, Stefàn sentit monter dans sa gorge un gloussement informe, qui eut l'air d'un hoquet. Les larmes lui vinrent aux yeux, et il ne put se retenir : il partit lui aussi d'un rire un peu fou, se bedonnant comme un idiot, mais zut ! Qu'il était bon, surtout en ce moment, d'enfin se laisser aller ! Quelle étrange ivresse dans ce rire imprévu et partagé !

Tout se passa en un éclair. Après avoir refusé la requête de Claria, la femme brandit sa baguette, et Claria fit de même. C'était elle ou Claria, si bien que cette dernière s'apprêta à lancer un sort. Mais elle fut retenue par un fait étrange: la femme qui se tenait en face d'elle se métamorphosa en Mr Grimson. Quelle était cette supercherie? La jeune femme ne comprit pas tout de suite, pensant que c'était un tour pour lui faire baisser sa garde. Cependant, la personne qui avait les traits de Mr Grimson avait lui aussi baisé sa baguette. Et voilà que son acolyte prit les traits de Mr Yaréar, qui prit un air gêné avant de s'excuser pour la peur qu'ils lui avaient faite. Pour avoir peur, elle avait eu peur...Qu'elle était bête: c'était Halloween. Mais Halloween ou pas, le Ministère aurait pu réellement frapper! La jeune femme allait remonter les bretelles de ses collègues (après tout, elle aurait pu les blesser!), quand Abel se mit à rire, aussitôt relayé par tous les tableaux, qui n'avaient rien manqué de la scène. Même le professeur d'histoire de la magie, lui qui gardait son sérieux peut importe la situation, se mit à rire également. Alors, après s'être adossée à la porte du bureau de Mr Yaréar, et après avoir soupiré longuement afin de reprendre ses esprits, elle se mit à rire à son tour, se sentant un peu bête d'être tombée dans le panneau. Jamais elle n'aurait pensé que Mr Grimson aurait rejoint Abel pour lui faire une farce. Ces deux là seraient à surveiller l'année prochaine, elle ne se ferait pas prendre deux fois!
Lorsque tous se furent calmés, elle répondit:

"Pour une frayeur, s'en était une! Vous m'avez bien eu. Mais j'aurais pu vous blesser...imaginez, si j'avais attaqué avant que l'un d'entre vous n'ai eu le temps de reprendre sa forme originelle!"

Sans parler que rire d'une telle situation pouvait sembler de mauvais goût pour certains: la menace du Ministère était bien réelle. Cependant, lorsque l'on avait peur de quelque chose, le meilleur moyen de se défaire de cette peur n'était-il pas d'en rire, comme pour les Epouvantard?

"A la base, j'étais venue pour vous voir, Mr Yaréar. Vous avez été absent toute la journée...à moins que vous ne vous soyez déguisé également?"