Après le premier repas d'année. [TERMINE]

Moesha avait l'impression d'être en plein cauchemard. Il y en avait partout. Des Blancs, pour la plupart. Ils étaient bruyants, agités... Quand elle réussit enfin à s'échapper de la Grande Salle et, après s'être perdu un bon nombre de fois et avoir failli ne pas se souvenir du mot de passe, à entrer dans la salle commune de sa maison, elle pensait en avoir fini pour la soirée. Mais bien sûr ça ne pouvait pas être aussi simple...

Tout d'abord, en entrant dans la pièce, elle fut frappée par la façon dont cet endroit ne lui faisait en rien penser à une "maison". Puis elle remarqua qu'elle n'était pas seule... Il y avait deux autres élèves, plus âgés sûrement, qui discutaient. Et elle avait beau se faire la plus discrète possible, ils ne pouvaient pas ne pas la remarquer, étant donné qu'ils étaient les trois seuls à être déjà remontés.

Longeant les murs le plus possible, elle tenta de se faire discrète et de rejoindre le dortoir rapidement, ne sachant même pas quelle porte il fallait prendre, faisant tout pour ignorer leurs regards pesant sur sa nuque. Elle était sûrement rouge d'embarras (ce qui se voyait peu sur sa peau mat, mais tout de même...). Arrivée au niveau des escaliers menant aux dortoirs, elle comprit qu'elle n'avait plus le choix. Elle allait devoir leur adresser la parole.

"-Pardonnez-moi... Le dortoir des filles ?"

Elle avait dit cela sans même les regarder, dans son anglais quelque peu approximatif et avec un fort accent. Elle s'en voulu de n'avoir jamais pris la peine d'étudier vraiment à l'école, se contentant de parler l'ancienne langue Cherokee avec sa famille. Elle espérait tout de même qu'ils l'avaient comprise et qu'ils lui indiqueraient le chemin sans chercher à faire connaissance...

Moesha regretta immédiatement son geste. Dès qu'elle parla, il y eut comme un déchaînement de réactions et, sans qu'elle ait le temps de réagir, les deux élèves les plus âgés s'étaient approchés d'elle en lui parlant, certes gentiment, mais bien trop rapidement pour elle. Elle avait compris l'essentiel de ce qu'ils avaient dit, bien que certaines expressions lui eussent échappé, mais avait plus réagi à leurs mouvements qu'à leurs paroles. Ils avaient beau s'être à peine approché, elle avait eu un mouvement de recul presque immédiat.

Elle les observa un instant sans rien dire, ignorant royalement la main tendue vers elle. Puis, après avoir analysé plus amplement leurs paroles, et devant leur expression d'attente, elle en conclut qu'il allait bien falloir qu'elle réponde quelque chose. Elle s'y employa donc, espérant arriver à parler sans que sa voix ne flanche.

-Je viens d'Amérique. D'une... réserve.

Elle avait hésité un instant devant le mot réserve, qui la répugnait au plus haut point. Mais elle n'en avait trouvé aucun autre pour le remplacer. Il y avait définitivement trop peu de mots dans cette langue.

-Une réserve Cherokee.

Elle s'était sentie obligée de préciser, vu qu'il existait bien d'autres natifs vivant dans des réserves: les Lakotas, les Cheyennes... Elle n'était pas sûre que ces anglais fassent la différence entre les différents peuples amérindiens, mais on ne sait jamais.

Elle observa la réaction des autres. Elle n'avait plus tellement envie de faire connaissance avec eux, même si elle comprenait qu'ils ne lui voulaient aucun mal. Elle avait juste envie de se retrouver seule. Et, plus encore, envie d'avoir une occasion de changer de forme sans que personne ne s'en rendre compte, de redevenir l'Aigle qu'elle aimait tant et de voler entre les tours de ce château, si hautes et vertigineuses. Elle était presque sûre que si elle s'envolait depuis la fenêtre du dortoir quelqu'un finirait par s'en rendre compte, elle n'aurait donc sûrement pas l'occasion de voler ce soir-là. Elle se sentait prisonnière, clouée au sol par la présence des autres.