Une promenade, c'est l'idéal pour une rencontre (PV Abel)

Deux silhouettes avançaient le long de la route sinueuse en direction de Pré-au-Lard. Héra avait éteint sa pipe, et marchait silencieusement, les mains enfoncées dans les poches de son pardessus. Le soleil jouait à cache-cache avec les nuages, et un vent frais soufflait par intermittence, faisant chuchoter la Forêt interdite qui s'étendait au loin à côté d'eux.

La vieille femme appréciait de prendre l'air, de marcher ailleurs qu'entre les murs des couloirs. Elle se demandait toujours un peu ce qui l'avait poussé à partir avec le professeur Yaréar. Elle avait peur qu'ils ne se trouvent pas de points communs, pas de terrain d'entente : après tout les deux personnages étaient on ne peut plus éloignés : d'un côté elle, vieille femme usée par la guerre, qui avait vu plus de violence qu'il n'en faut pour une vie et qui n'avait jamais réfléchi au-delà de l'action -elle l'avouait elle-même, ce n'était pas une grande penseuse. Et de l'autre côté, ce jeune homme svelte, qui paraissait en bonne santé; professeur de son état, il était surement futé. Elle ne le connaissait pas, mais elle était presque sure qu'il avait eu une enfance heureuse, des parents aimants, une scolarité brillante qui l'avait mené à l'enseignement.
La nouvelle venue, bien sûr, ignorait tout d'Abel Yaréar et ne voyait pas combien elle se trompait. Dans tout les cas, la concierge ne voyait dans cette excursion qu'une bonne promenade, et peu importait si son caractère ne convenait pas à Yaréar.

Mais déjà elle était mise en confiance au sujet de l'homme : depuis le début, lui aussi observait le silence, les yeux souvent tournés vers le ciel; il semblait apprécier lui aussi la sortie. Ce calme rassura Héra, et elle se prit à attendre avec curiosité de connaître mieux le professeur.

Un vent frais soufflait sur le visage fatigué du jeune professeur. Avec le zéphyr s'envolaient tous ses soucis, ses projets, ses trop-plein. Son cerveau s'aérait, et ça faisait un bien fou. Ils marchaient d'an bon pas, et les deux adultes arrivèrent bientôt au village. Abel se laissa guider par Mrs Kolensberg, qui s'était vite imposée comme le meneuse de la promenade. Il devinait qu'elle n'était pas du genre à se laisser faire.

Ils traversèrent les rues, et croisèrent alors un petit groupe d'élèves – Miss Sregon, Mr et Miss Ancalimë. Leur professeur leur tira un grand coup de chapeau pour les saluer; du moins il essaya, et n'ayant pas de chapeau son geste parut un peu ridicule aux élèves et à sa collègue. Les deux adultes souhaitèrent la bonne après-midi aux trois jeunes, lesquels entrèrent ensuite dans les Trois Balais. Curieux, Abel se dirigea dans la direction d'où venaient ses trois étudiants, suivi par une Mrs Kolensberg indifférente. Ils tombèrent alors avec surprise sur une vieille maison délabrée à l'extérieur du village.

-Cet endroit est célèbre", lui apprit Mrs Kolensberg. Elle semblait mieux connaître que lui l'histoire de la région – déjà elle savait que le village ne s'appelait pas « Pré-du-Tard », ce qui était un bon début. Abel frissonna devant l'aspect de la maison; mais malgré l'ombre inquiétante qu'elle projetait, le jeune professeur était curieux plus qu'apeuré.

Héra contemplait la vieille ruine; il y a cinquante ans, la Cabane Hurlante n'était déjà pas d'un bel aspect; aujourd'hui c'était pire : on se demandait bien comment elle tenait debout. Soudain des flashs défilèrent sous ses yeux, aussi violents que réalistes. Des souvenirs de la guerre. C'était la première fois qu'Héra revenait ici depuis la Grande Guerre de Poudlard. Elle était alors jeune, mais elle se souvenait; la Cabane Hurlante était, comme le reste du village, aux prises des Mangemorts... Les habitants de Poudlard avaient dut lutter ferme pour se défendre et empêcher les partisans de Voldemort d'emprunter le passage secret du Saule Cogneur. Pour finalement voir leurs défenses tomber, et voir se déchaîner la violence, le sang, la mort...
Troublée, la concierge coula un regard à son collègue; il n'avait pas remarqué son émotion, et elle prit le temps de se calmer avant de parler.

-Cet endroit est célèbre. C'est un haut lieu de la lutte entre Harry Potter et le Mage Noir. C'est ici qu'est mort Severus Rogue, vous avez du entendre parler de lui. Un héros de l'ombre.

« Venez. » déclara-t-elle alors d'un ton péremptoire, et elle retourna vers le village, suivie par le professeur. Ils arrivèrent alors devant un vieux bâtiment qui portait une sobre enseigne délabrée La Tête de Sanglier. Se demandant ce que M. Yaréar dirait de ce lieu, lui encore chargé de souvenir pour Héra, celle-ci entra.
Le pub n'avait pas changer. Toujours sale, poussiéreux, peu peuplé. Elle commanda un whisky Pur Feu et alla s'asseoir. Abel Yaréar la rejoignit peu après avec sa boisson.

Entrainés par Mrs Kolensberg, les deux promeneurs retournèrent vers le village, tournant dos à cette Cabane Hurlante décidément bien mystérieuse. Abel se demandait quel était son état vu de l'intérieur. Peut-être un jour visiterait-il cet endroit, lui dont la curiosité était plus forte que toute appréhension. Même devant le sinistre pub choisi par Héra, le professeur n'était pas vraiment inquiet. Juste intrigué par la sombre atmosphère, la couche de poussière si incrustée qu'on eût dit qu'elle faisait partie du lieu. Quelques consommateurs peuplaient l'endroit, la plupart étaient seuls et silencieux.

Mrs Kolensberg commanda une boisson, imitée par Abel. Sauf que celui-ci avait horreur du whisky pur feu, et de tout alcool en général. Il se fichait pas mal de passer pour une petite nature, et il demanda un jus de citrouille. Le barman, tout aussi poussiéreux que son pub, leva un sourcil et fit une moue indéchiffrable, mais il lui servit son jus.

Abel s'avança pour rejoindre Héra, assise plus loin, en chemin il lançait quelques 'bonjour' auxquels on répondit par des regards incrédules. Il s'assit devant la concierge, et comme par habitude il réajusta sa manche cachant sa blessure au bras.
Se souvenant de ses premiers jours à Poudlard, assez récents quand on y pensait, il lui demanda :

-Alors, vous avez réussi à bien vous adaptez à Poudlard? Cette nouvelle vie vous plaît?

Il avait eu vent du passé mouvementé de la vieille femme, et était curieux de savoir comment elle vivait cette reconversion.

-Je vais très bien, merci. » Héra s'étonna de la prévenance du jeune homme, avant de se souvenir que lui aussi était arrivé il y a peu dans l'école. Mrs D'Aragon lui avait parlé de l'affaire de l'ancienne professeure qui avait dû partir rapidement, et de l'étonnante candidature pour un homme venant d'aussi loin que l'Australie.

« Je n'ai pas eu beaucoup d'occasions pour connaître mieux les élèves, pour le moment c'est mon seul regret. Et même le personnel. A part Gourby, vous êtes le seul que j'ai vraiment rencontré. Mais ce n'est pas grave, on s'habitue facilement au silence, quand on a redouté le bruit toute sa vie... »

En effet cela lui faisait bizarre de parler après presque un mois de silence. Tout comme ça lui avait fait bizarre de marcher à côté de quelqu'un en toute sereinité. Tout était si calme dans ce coin de l'Angleterre, il semblait que rien ne pourrait atteindre ce microcosme protégé par une sorte de bulle.

« On s'habitue rapidement au rythme grâce auquel on vit bien. J'aime le travail que je fais, j'ai toujours aimé les responsabilités et être utile. »

Elle marqua un temps de pause, bu une gorgée de whisky. Puis elle demanda sans préambule :

« Qu'avez-vous au bras? »

Depuis le jour même de leur rencontre, quand il était venu l'accueillir, Héra avait remarqué en lui serrant la main le bandage couvrant le bras du professeur. Et elle avait été étonné de voir qu'il ne semblait pas protéger une blessure ponctuelle, puisqu'elle l'avait vu plusieurs fois toujours bandé. Fantaisie de la part d'Abel? Blessure plus grave? Pourtant il ne semblait pas souffrir. Héra darda sur Abel un regard perçant, presque menaçant, en attendant sa réponse.

Abel rendit à Mrs Kolensberg son regard fixe, un petit sourire aux coins des lèvres. Étonné, ça il l'était. Étonné que la vieille femme ait remarqué ce détail, et surtout de sa manière directe d'aborder la question. Évidemment, il aurait été surpris que l'affaire reste cachée sous sa manche pour l'éternité; mais la plupart des gens se contentait de constater la bande blanche et ne posait pas de question. Les gens n'étaient pas curieux, où alors ils ne faisaient pas attention aux autres. Terrible déception, pour un homme aussi optimiste qu'Abel, que de constater le nécessaire égoïsme universel.
Et voici que l'intérêt pour l'Autre venait de la personne la plus inattendue, cette vieille femme taciturne et solitaire.

-Je... C'est une vieille histoire, peu intéressante » tenta faiblement Abel; il détestait parler de lui, activité improductive et faisant perdre un temps fou. Il préférait de loin agir, exister plutôt que se rêver et se complaire. Il devinait qu'il partageait cette conviction avec son interlocutrice. Et d'ailleurs il était à peu près sûr que celle-ci ne se contenterait pas de cette dérobade.

-Vers 15 ans, j'ai croisé le chemin d'une étrange bestiole vivant dans les forêts australiennes. Un hojgur, ça s'appelle, un genre de caïman. Le problème est que sa morsure laisse comme un venin qui empêche la plaie de se refermer. Du coup, dès que j'enlève le bandage, je me mets à saigner comme un dément! »

Héra hocha la tête, elle semblait satisfaite de la réponse. Abel se demandait si elle allait lui demander ce qu'il fichait à 15 ans dans les forêts d'Australie à faire des safaris avec des crocodiles. Mais là, Abel n'avait aucune envie de retracer sa biographie et son enfance mouvementée. De nombreux souvenirs, autres que celui du hojgur, étaient liés à cette période, et il les avait laisser derrière lui lors du grand voyage.

Avec un sourire, le jeune homme songea pour la première fois à l'étrange paradoxe qui résidait en lui : tandis que son corps était marqué à vie de blessures profondes, les plaies de son âme, elles, étaient refermées, réconciliées. Malgré son existence parfois difficile, il était en paix avec lui-même, et était heureux. Quelle chance, quand on y pense.

-Je suis étonné que vous ayez remarqué cela, confia-t-il à la vieille femme.

« Ça a toujours été mon devoir de faire attention aux gens. C'est ma raison d'être, je vis pour soulager un peu du mal du monde. Et je suppose que le mal réside non seulement dans les guerres et dans la violence, mais aussi dans l'indifférence. »

Le jeune professeur avait été honnête, Héra le sentait. Elle l'appréciait de plus en plus, ce garçon détendu qui pourtant n'avait rien de l'insouciance et des folies de la jeunesse. La femme n'était pas du genre à rire de tout et de rien, et lui semblait qu'Abel non plus, malgré son léger sourire permanent. Ça lui donnait un certain charme, il fallait l'avouer. Oh bien sûr elle était trop vieille, et il n'était pas son type (si loin de ce qu'avait pu être Georges Dyphon, le seul homme qu'elle ait jamais aimé); mais elle se demandait s'il avait une fille dans sa vie.

Ce type de préoccupation, ainsi que le fait qu'elle commençait à l'appeler dans sa tête « Abel » et non « Mr. Yaréar », prouvait à Héra que l'homme avait gagné son estime. Satisfaite, elle finit son verre de whisky d'un trait et consulta sa montre. L'après-midi tirait sur sa fin, il était temps de penser à rentrer. Elle se leva, imitée par Abel, et ils sortirent tout deux du pub, rejoignant les rues qui devenaient plus fraîches avec l'arrivée du soir.

Autour d'eux d'autres résidents de Poudlard les rejoignaient sur la route menant au château. La bonne humeur entourait les marcheurs, cette sortie à Pré-au-Lard était vraiment une bonne idée, et Héra se prit à espérer bientôt un autre week-end. Mais à présent il était temps de retourner au travail, son rôle de concierge l'attendait, et elle tenait à l'honorer. Elle espérait sincèrement faire la connaissance d'autres professeurs ou élèves.

Les deux silhouettes s'acheminaient tranquillement vers le château, légèrement courbées pour se protéger du froid et du vent. Les pensées d'Abel retournaient progressivement vers son travail, ses cours, quittant le calme de cette après midi de week end. Le jeune professeur était enchanté d'avoir fait plus ample connaissance avec cette Héra Kolensberg, à qui il portait une grande estime.

Il ferma les yeux, appréciant une dernière fois le souffle de la brise sur son visage. Les beaux jours arrivaient. Bientôt tous ses cours auraient lieu en plein air, bientôt il passerait son temps dehors et, bientôt, lui et Enlil sortirait sur le terrain de Quidditch faire quelques passes. Abel se demandait si Jayden ou Mrs D'Aragon voudraient faire une partie avec eux. Mr Bishop et Mrs Kolensberg resteraient surement au sol!

Avec un sourire Abel imagina un match de Quidditch profs/ élèves comme cela se faisait dans son école australienne. Lui-même n'était pas très bon joueur (il avait occupé plus ou moins tous les postes sans en trouver un qu'il aime moins), et souvent les professeurs étaient battus à plate couture. Mais c'était surtout une occasion pour rire, se décontracter et profiter du retour des beaux jours. Et le lien prof/élève s'en retrouver améliorer, chose particulièrement chère à Abel.

Abel s'arracha de ses rêveries quidditchéennes pour revenir à son cours : il devait avoir lieu très bientôt, avec les Premières et Deuxièmes Années. La planète Mars. Beau sujet. Abel attendait avec impatience de revoir ses élèves : les jumeaux Ancalimë, dont le frère avait participé de façon encourageante au dernier cours; Mr Cromwell, discret mais attentif; Miss Candle qu'il espérait voir moins fatiguée; son cousin Enlil bien sûr; et Miss Sregon, qui avait semblé préoccupée qui avait étrangement réagit quand il avait parlé de guerre... Et il espérait voir Miss Di Renzo et Miss Redbird, qui n'avaient pas pu venir la dernière fois. En plus Madame la Directrice devait être présente aussi pour s'assurer que tout allait bien.
Oui, Abel avait hâte. Pourtant son pas était lent et mesuré sur le chemin de Poudlard.